Schmitronic

Réparations d'appareils électroniques vintage



Réparation d'un juke-box Wurlitzer Zodiac 3500 de 1971
(machine 2)

Arrive un Zodiac complètement ... pourri ! Le bas de la caisse a stagné dans l'eau car les panneaux de bois aggloméré se désagrègent, les roulettes sont passées à travers le fond suite au poids de la machine ! Quelqu'un a fabriqué et installé un nouveau plancher sous l'ensemble de la machine. Des tôles, boitiers, vis, ... trainent en fond de caisse, une barre métallique de support du porte étiquette est cassée, le "pince-disque" manque ainsi que les boulons de fixation du mécanisme à cames, moteur principal de la machine ... Pourquoi quelqu'un a-t-il eu l'idée de commencer à démonter le complexe système à cames ? En continuant mon inspection de ce mécanisme je découvre que des pivots et des lames sont pliées et que quelques dents manquent sur un engrenage ... Mamma mia, c'est une catastrophe, ce n'est plus un jukebox, mais un zombie !

Il y a un nouveau câble secteur 230V mais la machine est comme souvent en 115V, j'espère que personne ne l'a allumé comme ça ... et bien si, car je trouve un fusible de 8A grillé (dans un emplacement indiqué 5A ...). Le propre de l'homme est-il donc toujours de croire qu'il est compétent sans admettre qu'il est un danger public ? Aristote avait bien raison : "L’ignorant fonce, le savant doute, le sage réfléchit" (Citation légèrement modifiée, l'originale étant : "L'ignorant affirme ...").

Cela promet une belle partie de plaisir, et pour la 1ère fois, j'hésite à me lancer dans la restauration. Allez, on va faire comme les ignorants : foncer ! Je commence par le plus complexe : l'assemblage à cames. Le plateau est déposé et fixé sur tranche à 2 tréteaux, je peux y travailler à l'aise (assis !) de chaque côté. Je débraye mécaniquement le moteur électrique, ainsi je peux tester le mécanisme à la main.

Le châssis déposé et monté "sur tranche" pour pouvoir y travailler au-dessus et en-dessous à l'aise

Le mécanisme à cames

Les cames tournent, le bras monte un peu et retombe, c'est normal, il manque des dents à l'engrenage, une roulette n'est plus dans sa gorge-guide en forme de cardioïde, un pivot d'arrêt est de travers, des plaques métalliques et une vis de réglage sont tordues. Et je me demande bien de quelle manière un forçage aussi violent de la mécanique a bien pu être provoqué. On pense au premier abord à un blocage du bras de transfert, mais ce n'est pas ça car les dégâts auraient été différents : casse du bras mais sûrement ruptures des dents des 3 engrenages planétaires qui orientent le bras en 3D. Bref, rien à faire, il va falloir démonter le tout.

Les diverses lignes de couleur indiquent une partie des déformations subies par le forçage de la mécanique

Mais d'abord, il faut réfléchir, c'est-à-dire comprendre. Etonnement, je ne trouve aucune photo, ni vidéo sur la manière de fonctionner, ni de démonter ou régler ce mécanisme, alors que tout existe pour les Seeburg et les Rockola. Pourtant ce sont des machines classiques et réputées, bizarre, car ce n'est sûrement pas la 1ère qui a des soucis de ce genre. Je consulte la documentation du Zodiac 3500, j'y trouve bien la vue éclatée du mécanisme, mais les cames ne sont pas détaillées ! C'est une vue éclatée partielle, flûte.

Vue éclatée du mécanisme à cames du modèle 3500, l'essentiel n'est pas décrit !?

A tout hasard, je parcours la documentation des autres modèles et, chose étonnante, je trouve une vue éclatée complète sur le modèle ... précédent, le 3400 Stateman ! Donc Wurlitzer s'était cassé la tête pour dessiner en grands détails son mécanisme, puis a fait marche arrière et a redessiné une vue simplifiée pour tous les modèles ultérieurs ! Pour protéger et empêcher la copie d'un arbre à cames (qui n'est pas la 8ème merveille du monde quand même) ? C'est totalement idiot, un copieur n'a qu'à acheter une machine et la démonter, c'est plus facile et plus précis. Chaque came est bloquée en position sur l'arbre central avec une vis Allen et je trouve quand même moche et pauvre qu'aucune documentation n'existe pour remplacer et repositionner précisément ces cames relativement les unes aux autres en cas de casse ou de glissement.

Vue éclatée du mécanisme à cames du modèle 3400 (antérieur au 3500) : tout y était !?

Mais voici au moins, en exclusivité mondiale (ta-dam), une description de la fonction de chacune des 10 cames :

Pas mal, non ? Je commence le démontage, prends des photos à chaque étape, dépose les vis dans l'ordre dans un casier à glaçons et note par écrit les détails de chaque étape. Je débroche tous les fils qui viennent aux interrupteurs, détache les ressorts, enlève les circlips pour désengager les tiges de guidage ... je ne mange plus et ne décroche plus le téléphone pour ne pas être déconcentré ! Si on n'est pas hyper méticuleux, on va droit aux problèmes.

A gauche le bloc à cames (repérées) déposé ... et ouvert en deux !

Une fois le bloc déposé, il faut encore l'ouvrir et démonter les assemblages. Le bloc à problème est constitué de 4 plaquettes vaguement triangulaires emboitées et mobiles autour de l'axe principal. Cet assemblage possède une roulette qui suit une gorge en forme de cardioïde sur l'engrenage principal et transmet le mouvement oscillant à un engrenage partiel via un puissant ressort. Ce mouvement fait "rouler" l'engrenage de sortie monté sur l'arbre qui entraine le bras de transfert. J'arrive à redresser les plaquettes et pivot et je remplace la vis tordue, puis je remonte le tout. La photo de gauche ci-dessous montre le mauvais positionnement des plaquettes entre elles : le pivot marqué d'un point rouge doit se trouver au point vert entre les 2 doigts de la "pince". Il est très simple de placer les 4 plaquettes correctement l'un sur l'autre ... sans le ressort. Mais il est impossible de placer par après le ressort à la main ! Il m'a fallu serrer l'ensemble dans l'étau et tendre le ressort avec un gros crochet pour arriver à le placer ! L'effort est de plusieurs kilos, ce mécanisme est supposé donner un peu de souplesse et éviter les à-coups entre l'arbre à cames et le bras de transfert.

Le mécanisme de pilotage du bras de transfert, le pivot rouge devra venir s'insérer au point vert entre les lames

Je lubrifie l'ensemble, vérifie la bonne rotation et remonte le tout, étapes par étapes. C'est laborieux mais ça va, ce qui est critique est qu'il faut procéder à toute l'opération de démontage et remontage d'une traite sur un ou 2 jours, avec la mémoire fraîche, car même avec de l'organisation, on oublie vite des détails importants. Je vérifie les positions et réglages des 4 interrupteurs (les 3 du système à cames et le safety switch activé directement par le bras de transfert). La lame du contact de transfert me semble bizarre par rapport au sens de rotation de sa came. Je vérifie la position de ce contact sur mes photos prises sur d'autres machines et je me rends compte que quelqu'un l'a remonté à l'envers ! De plus, ce n'est pas le même modèle que les autres, il n'est donc pas d'origine ! Décidément. Serait-ce la cause du "croquage" de la mécanique ? Je ne pense pas, car ce mécanisme peut tourner en continu sans souci. Les contacts ne peuvent qu'arrêter ou démarrer des relais et des moteurs, pas casser une mécanique.

A gauche le montage erroné du transfert switch, à droite remonté correctement !

Une fois l'ensemble remonté, je teste le cycle à la main, et après quelques réglages ça fonctionne. Le plus difficile a été de bien positionner la position angulaire de l'arbre qui pilote le bras de transfert pour que le bras se pose bien à plat du côté de la platine pour les 2 faces. Je repositionne le moteur pour entrainer le mécanisme et l'alimente en 24V AC. Wouah, ça marche ! Le petit moteur prend 4A, donc la puissance consommée est de quasi 100W, pas mal quand même. Et bien voilà, c'était une sacrée opération, mais maintenant je comprends parfaitement la machine.

Je peux également conclure au niveau architecture que chez Wurlitzer on trouve principalement des "tôliers" et des électriciens pour la machinerie et des menuisiers pour les caisses, tandis que chez Seeburg ce sont plutôt des "fondeurs" et des électroniciens pour la machinerie et des "tôliers" pour les caisses.

Le pince disque !

Le levier qui pince le disque sur le bras de transfert a disparu et je comprends vite qu'il est quasi impossible à trouver. Heureusement mon partenaire a d'autres machines et m'en fourni un comme exemple. Je prends toutes les mesures au pied à coulisse et redessine un pièce simplifiée à imprimer sur mon imprimante 3D.

Plan du pince disque

Le résultat est brut mais costaud : il faut limer une fente en V pour le placement du disque, forer les trous, monter un axe en aluminium (4cm de long et 3 mm de diamètre), assembler la pièce avec un boulon sur une plaquette en plexigas de 2mm d'épaisseur sciée à la main. Il reste à fixer le ressort et à monter l'ensemble dans la machine ... et tester.

Nouveau mécanisme pince disque imprimé avec une imprimante 3D

Après quelques ajustements ça marche ! Pour en faire profiter tout le monde je charge les plans sur Thingyverse : https://www.thingiverse.com/thing:5237915. Il est à remarquer que comme la pièce est symétrique, j'aurai pu dessiner la moitié et l'imprimer une 1ère fois puis une 2ème en miroir et coller les 2 pièces ensemble. Ce sera pour quand j'aurai un peu de temps ...

Le nouveau pince disque en pleine action !

Le reste !

Il est impossible de faire une sélection au clavier malgré la présence de crédits. A nouveau, par comparaison de photos, on dirait le jeu des 7 erreurs, je détecte que sur le bloc de sélection du clavier (voir flèches rouges sur la photo) :

Après corrections, tout fonctionne à nouveau correctement évidemment. Mais pourquoi quelqu'un a-t-il hacké à ce point cette machine ?

Ressort et 2 vis qui ont dû être remis

Le moteur du panier a du mal à tourner, pourtant le panier est libre. Il me faudra démonter le moteur et ouvrir la boite de réduction ... rivetée (!) pour regraisser le tout.

La vitesse de rotation du moteur de la platine n'est pas bonne non plus, il tourne à 33 tour/min ! Les 4 silent blocs sont très fatigués, complètement affaissés ... et vite remplacés.

Silent bloc complètement affaissé, la flèche rouge indique un écrou inaccessible ...

L'aiguille a disparu, j'en mets une autre, l'ampli fonctionne (ah tiens, même pas une petite panne ?), mais le son est ... mauvais. Je remplace la tête complètement, c'est toujours galère : la tête a une hauteur différente, il faut des vis plus longues, mais les pas de vis sont différents, les fins fils cassent, le brochage n'est pas documenté, ... Bref après quelques réglages la machine fonctionne à nouveau parfaitement. Et bien, le zombie revient de loin ! Et moi aussi, je ne ferai pas cela tous les jours, mais c'était très instructif.

La séquence complète du ressuscité !


Vers machines 1 & 3